Mon mémoire
Au Coeur de la Vacuité, l'Adavaïta Hindouisme, Christianisme, sur les traces d'Henri Le Saux
Chaque seconde de pellicule du film de Patrice Chagnard lève le voile sur l’itinéraire de ce grand mystique qui voulait jeter un pont entre chrétiens et hindous.
Le Père Henri Le Saux est moine de l´abbaye bénédictine de Kergonan.
Aujourd’hui encore, il ne cesse de nous inviter à prendre le chemin qu’il a tracé, à venir boire à la Source où il a bu, et comme le Baptiste, un jour sur ce chemin, il nous laisse seul, juste devant cette Présence qui fut toute sa joie.
Une Présence qui n’a cessé de l’envahir dans sa double expérience religieuse, entre Occident et Orient, entre christianisme et hindouisme.
Un itinéraire difficile et émouvant, une lutte intérieure au plus profond de soi, une expérience de la non-dualité de l’être qui est le fond de l’expérience vedantine et cette expérience de la divine filiation, de l’ineffable non-dualité du Père et du Fils, en l’unité de l’Esprit.
Sur la voie de l’idéal du sannyâsa empruntée en 1948, Henri Le Saux vit en Inde l’expérience de l’advaïta à la lumière des Upanishads.
Un chemin qui conduit le pèlerin de l’Absolu sur l’Autre Rive, celle de l’Eveil.
Aham asmi - Je suis.
A l’occasion du centenaire de sa naissance en 2010, je suis retournée à la source, à St Briac et c’est avec émotion que mes pas m’ont portée jusqu’à l’abbaye bénédictine Ste Anne de Kergonan où j’ai séjourné quelques jours puis sur les rives de la rivière Kâverî, dans le Tamil Nadu en décembre 2011.
Dans l’approche du corps telle que l’enseignement du yoga nous y conduit, un jour peut-être se pose la question de ces forces duelles qui sont la cause de tant de nos souffrances.
Un ressenti qui passe par la voie du cœur.
Et si au cœur de la vacuité, dans un espace intérieur infini, limité par le fini du corps, l’advaïta livrait son message : le dépassement de Soi, l’existence de l’être nu, revenu à la Source d’où tout jaillit…
Un extrait de mon introduction...
Le travail bien imparfait et parcellaire qui suit témoigne avant tout d’un questionnement élaboré tout au long de ma vie, une relation de ma mise en abyme raisonnée, un engouffrement dans les convulsions de l’être, à la source, là où la lumière luit dans le silence, jusqu’à ce qu’apparaisse l’aurore.
En tant que tel, il demeure un chantier à ciel ouvert, soumis à de perpétuels remaniements comme le furent les livres d’Abhishiktananda dont les biographes s’accordent à reconnaître le fait qu’il pouvait changer d’avis sur ce qu’il avait écrit, parfois avant même que ce soit publié.
Comme l’accumulation d'autant d’éléments provenant de la désagrégation, de la dissolution de questionnements préexistants, transportés et déposés par les eaux, le vent, ce mémoire reflète mon expérience dans la voie du yoga et la révélation que fut pour moi ma rencontre avec Henri Le Saux, la grâce de l’autre, lui qui a vécu la grâce de l’Inde.
Une rencontre à l’origine de mon chemin, une graine plantée là qui a fait basculer ma vie et qui fait que j’en suis, aujourd’hui, à tenter vainement de circonscrire ma pensée dans des mots, consciente que par là-même, je limite ma pensée, je la réduis à des concepts forcément limitatifs dans lesquels mon intellect se trouve lié, entravé.
Aurais-je imaginé ce soir-là, où une porte si lumineuse s’était ouverte en moi, plonger dans un compagnonnage aussi intime avec Henri Le Saux ?
Aurais-je imaginé que, quelques temps plus tard, Swami Abhishiktânanda, serait l’objet de mon mémoire, guidée dans l’ouvrage par l’assurance que tout ce qui a été donné est reçu pour être donné à nouveau ?
Cette ivresse intérieure, une ivresse des profondeurs qu’il m’a été « donné » de vivre comme l’expérience de quelque chose de plus fort que toutes les rencontres que j’avais vécues depuis des années, de plus enivrant encore, m’a formé autant humainement que spirituellement.
Quelque chose s’était passé… ce soir-là.
… et je n’imagine pas encore tout ce qui viendra à nouveau sur ce chemin, la voie du yoga.
Il est dit que ce qui compte c’est le chemin.
Alors, je musarde, je reviens sur mes pas, je fais quelque détour. J’apprends à me taire pour écouter, à m’effacer pour voir, à m’immobiliser pour sentir, à lâcher pour saisir.
Le fleuve de ma vie coule paisible entre deux rives, guidé en cela par la rigueur et la douceur – sthira, sukham - de Sri Mahesh dont la prégnance accompagne mon enseignement du yoga et dans le rayonnement extraordinaire du sourire d’Henri Le Saux, à ses dernières heures, lorsque son visage investi de Lumière et surtout la singulière expression de ses grands yeux émerveillés nous invitent sur l’Autre rive, quand bien même je mesure toutes ses limites et ses échecs.
Henri Le Saux a aimé l’Inde avec une infinie passion, une passion qui a donné à sa vie toute cette exceptionnelle figure, une passion qui ne s’est jamais émoussée même aux heures les plus douloureuses dans lesquelles cette passion l’a conduite. Et c’est là que l’on retrouve cette merveilleuse phrase de Mère Teresa : « Le véritable amour fait mal ».
Il y a un aphorisme en Inde qui dit que, lorsque le disciple est prêt, le guru arrive.
Ce mémoire je l’ai voulu fidèle à ce que « je suis ».
… mais la certitude d’aujourd’hui devient errement le lendemain.
« On n'enseigne pas ce que l'on sait, on n'enseigne pas ce que l'on veut, on enseigne ce que l'on est » disait Jean Jaurès.